La cession déspécialisation : un dispositif rapide permettant de céder son bail commercial en cas de départ en retraite ou d’invalidité
En cas de départ à la retraite ou d’invalidité du locataire, la loi prévoit la possibilité pour ce dernier de changer l’activité dans le cadre de la cession de son droit au bail. Ce dispositif, couramment appelé « cession déspécialisation », répond à un formalisme et des exigences fixées à l’article L.145-51 du Code de commerce qui dispose que :
« Lorsque le locataire ayant demandé à bénéficier de ses droits à la retraite ou ayant été admis au bénéfice d’une pension d’invalidité attribuée par le régime d’assurance invalidité-décès des professions artisanales ou des professions industrielles et commerciales, a signifié à son propriétaire et aux créanciers inscrits sur le fonds de commerce son intention de céder son bail en précisant la nature des activités dont l’exercice est envisagé ainsi que le prix proposé, le bailleur a, dans un délai de deux mois, une priorité de rachat aux conditions fixées dans la signification. A défaut d’usage de ce droit par le bailleur, son accord est réputé acquis si, dans le même délai de deux mois, il n’a pas saisi le tribunal judiciaire.
La nature des activités dont l’exercice est envisagé doit être compatible avec la destination, les caractères et la situation de l’immeuble.
Les dispositions du présent article sont applicables à l’associé unique d’une entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée, ou au gérant majoritaire depuis au moins deux ans d’une société à responsabilité limitée, lorsque celle-ci est titulaire du bail. »
I. Les bénéficiaires de la cession
Concernant les bénéficiaires de la cession, l’article L. 145-51 du Code de commerce vise, en son troisième alinéa :
-
- le locataire
- l’associé unique d’une entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée
- le gérant majoritaire depuis au moins deux ans d’une société à responsabilité limitée (lorsque celle-ci est titulaire du bail)
II. Les conditions pour bénéficier de cette cession déspécialisation
L’article L.145-51 prévoit deux conditions permettant de bénéficier de cette cession déspécialisation.
Condition 1 : le locataire doit avoir demandé à bénéficier de ses droits à la retraite du régime social auquel il est affilé, ou avoir été admis au bénéfice d’une pension d’invalidité attribuée par le régime d’assurance invalidité-décès des professions artisanales ou des professions industrielles et commerciales.
Par ailleurs, il a été jugé que le locataire qui se trouverait en situation de cumul de la retraite de base et d’une activité professionnelle dans les conditions ouvertes par la loi nº 2003-775 du 21 août 2003 portant réforme des retraites, et qui est en mesure de demander à bénéficier de sa retraite complémentaire, dispose également de la faculté de céder son droit au bail avec déspécialisation (Cass. 3e civ., 23 nov. 2011, nº 10-25.108)
La jurisprudence a précisé que dans le cas d’époux copreneurs d’un bail commercial, le fait que seul l’un demande à bénéficier de sa retraite suffit à faire jouer le texte. (Cass civ. 3ème, 30 janvier 1991 n°89-11.313)
Condition 2 : compatibilité des activités avec la destination et les caractères de l’immeuble.
Le deuxième alinéa de l’article L.145-51 prévoit que la nature des activités dont l’exercice est envisagé doit être compatible avec la destination, les caractères et la situation de l’immeuble.
C’est au juge du fond qu’il appartient d’apprécier la conformité des nouvelles activités. Ce dernier devra tenir compte des caractéristiques du local, mais également du règlement de copropriété, ou encore du PLU local (articles L631-7 à L631-9 du Code de la construction et de l’habitation ; CA Nîmes, 1re ch., 15 oct. 1998, Épx Couderc c/ Mme Blot, Loyers et copr. 2000, comm. nº 168). La Cour de cassation a, de la même manière, retenue que les dispositions d’un règlement intérieur d’un centre commercial pouvaient être invoquées au titre de la destination, des caractères et de la situation de l’immeuble. (Cass. 3e civ., 13 mai 2015, nº 14-10.368)
Enfin, concernant la charge de la preuve, c’est au bailleur qu’il incombe de prouver l’incompatibilité de la nouvelle activité. (CA Paris, ch. 16, sect. B, 10 mars 1994, Mme Shalan c/ Mlle Desagneux).
III. Le déroulement de la procédure de la cession
A. La signification au bailleur et aux créanciers
Selon les dispositions de l’article L.145-51, le locataire doit d’abord signifier à son propriétaire et aux créanciers inscrits sur le fonds de commerce, son intention de céder son bail en précisant la nature des activités dont l’exercice est envisagé ainsi que le prix proposé.
Cette signification doit être réalisée par acte extrajudiciaire (mode préconisé) ou par lettre recommandée avec demande d’avis de réception, en vertu de l’article L.145-49 du code de commerce, et indiquer l’activité envisagée ainsi que le prix proposé.
B. La priorité de rachat offerte au bailleur
Ce dispositif ouvre au bailleur une priorité de rachat aux conditions fixées dans la notification, qu’il doit exercer dans un délai de deux mois.
Ainsi l’article L. 145-51 du Code de commerce institue un dispositif en deux temps :
Soit le bailleur exerce son droit de préemption s’agissant du projet de cession du locataire ;
Soit le locataire se trouve en droit de céder son bail, avec la déspécialisation invoquée, à condition que la disposition des locaux le permette.
La notification par le bailleur de l’exercice de son droit de priorité, a pour effet de rendre le locataire occupant des lieux sans droit ni titre à compter de la date de cette notification (CA Paris, pôle 5, ch. 3, 13 janv. 2017, nº 14/24747).
Le locataire peut assigner le bailleur qui a exercé son droit de priorité en vente forcée. C’est ce qu’a retenu en ce sens la Cour de cassation dans un arrêt en date du 14 juin 2018 (Cass. 3e civ., 14 juin 2018, nº 17-16.142).
Si le bailleur a exercé son droit de priorité et refuse ensuite de régulariser l’acte de vente, cela ouvre droit au locataire à réparation de son préjudice consécutif à cette non-réitération, soit à la perte d’une chance de céder le droit au bail au prix convenu avec le candidat acquéreur (CA Grenoble, 9 février 2017, nº 13/03422).
C. L’opposition du bailleur
a/ L’exercice par le propriétaire de son droit d’opposition
Dans le cas où un propriétaire s’opposerait au changement d’activité, pour les motifs légalement fixés, il doit saisir le tribunal judiciaire compétent, dans le délai de deux mois. A défaut d’exercice de ses droits de rachat ou d’opposition, dans le délai imparti, l’accord du bailleur est réputé acquis.
Il a été jugé que seule l’absence de compatibilité de la nouvelle activité avec la destination, les caractères et la situation de l’immeuble peut justifier un refus. Ainsi, ne peut justifier le refus, le fait que la nouvelle activité soit concurrentielle à celle du bailleur. (CA Paris, ch. 16, sect. B, 16 juin 1988, Sté Bernheim Jeune c/ Épx Briganeret et Guitline)
Aussi, à titre d’exemple, il a été jugé qu’en présence d’une clause de non-concurrence d’un règlement intérieur s’imposant à l’ensemble du centre commercial, le refus du bailleur sera injustifié si l’activité envisagée ne vient pas concurrencer des commerces déjà existants au sein du centre commercial. (Cass. 3e civ., 13 mai 2015, nº 14-10.368 ; CA Montpellier, 30 mai 2017, nº 15/06793)
b/ Sanction en cas de refus injustifié du bailleur
Il est opportun de constater que l’article L. 145-51 du Code de commerce fait partie des dispositions d’ordre public visées par l’article L.145-15 du Code de commerce, il est donc impossible d’y déroger dans le contrat de bail (Cass. 3e civ., 5 avr. 2018, nº 17-14.882).
Le refus de la déspécialisation, par le propriétaire, doit être motivé et répondre aux critères posés par l’article L. 145-51, alinéa 2 du Code de commerce.
Le refus injustifié peut ouvrir droit au locataire à des dommages et intérêts.
Il a ainsi été jugé que :
« constitue un refus injustifié à la limite de l’abus de droit, le refus opposé par le bailleur à la cession avec déspécialisation projetée par un locataire qui avait invoqué les dispositions de l’article 34-3-1 du décret du 30 septembre 1953, chaque fois qu’il ne démontre aucunement en quoi les nouvelles activités envisagées par le projet de cession de bail auraient été incompatibles avec la destination, le caractère ou la situation de l’immeuble » (TGI Paris, 18e ch., 19 déc. 1995, SCI FFCE c/ Mme Perrin, CA Paris, 16e ch ., sect.B, 12 déc. 1997 : JurisData n° 1997)
La sanction du refus injustifié est l’attribution de dommages et intérêts. (CA Paris, ch. 16, sect. A, 17 janv. 2007, Immobilière Lapa c/ Guy S).
Pour en savoir plus:
Négociation / rédaction du bail
Litiges relatifs au paiement ou au montant du loyer