Quand la dissolution de l’Assemblée nationale supprime la compétence du Juge de l’exécution !
La population et nos amis fiscalistes s’émeuvent à juste titre des conséquences du renversement de l’actuel gouvernement et du rejet de la loi de finances.
Mais depuis le 1er décembre, une petite circulaire du service judiciaire de la direction des affaires civiles nous informe benoîtement que la compétence du Juge de l’exécution a disparu pour toutes les contestations qui s’élèvent à l’occasion de l’exécution forcée d’un titre exécutoire.
Pour les avocats spécialistes de contentieux et les commissaires de justice, c’est un séisme, car cette suppression de compétence s’applique même pour les affaires en cours !
Combien de milliers de dossiers seront impactés…
Je vous laisse prendre connaissance des explications du ministère de la Justice, qui indique que cette situation est le fruit d’une décision du Conseil constitutionnel et de la dissolution de l’Assemblée nationale.
C’est donc désormais le tribunal judiciaire qui devient compétent.
Sous-direction de l’organisation judiciaire et de l’innovation
Sous-direction du droit civil
Paris, le 28 novembre 2024
Le directeur des services judiciaires
La directrice des affaires civiles et du sceau
à
Monsieur le premier président de la Cour de cassation Monsieur le procureur général près la Cour de cassation
Mesdames et messieurs les premières présidentes et premiers présidents des cours d’appel Monsieur le président du tribunal supérieur d’appel
Monsieur le procureur de la République près le tribunal supérieur d’appel Mesdames et messieurs les procureures générales et procureurs généraux près les cours d’appel
Mesdames et messieurs les présidentes et les présidents des tribunaux judiciaires Mesdames et messieurs les procureures et procureurs de la République
près les tribunaux judiciaires
Madame la directrice de l’Ecole nationale de la magistrature Madame la directrice de l’Ecole nationale de greffes
N° CIRC : CIV/06/24
OBJET : Conséquences de l’abrogation au 1er décembre 2024, par la décision n° 2023-1068 QPC du 17 novembre 2023 du Conseil constitutionnel, des mots « des contestations qui s’élèvent à l’occasion de l’exécution forcée » au premier alinéa de l’article L. 213-6 du code de l’organisation judiciaire.
MOTS-CLEFS : Juge de l’exécution – saisie des droits incorporels – compétence d’attribution – exception d’incompétence – relevé d’office – transfert de compétences civiles – procédure orale – procédure écrite ordinaire.
PUBLICATION : La présente circulaire sera publiée au Bulletin officiel du ministère de la justice
(BOMJ) et diffusée sur l’intranet de la direction des services judiciaires du ministère de la justice.
- La décision n° 2023-1068 QPC du 17 novembre 2023 du Conseil constitutionnel
Le Conseil constitutionnel était saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité portant sur les dispositions, telles qu’interprétées par la jurisprudence de la Cour de cassation :
- du code des procédures civiles d’exécution (CPCE) applicables à la saisie de droits
incorporels, en particulier ses articles L. 231-1 et L. 233-1 ;
- et de l’article 213-6 du code de l’organisation judiciaire (COJ) énumérant les
attributions du juge de l’exécution.
Après avoir relevé qu’il ressortait de la jurisprudence de la Cour de cassation qu’en cas de vente par adjudication des droits saisis, le créancier fixait unilatéralement le montant de leur mise à prix et que le juge de l’exécution n’était pas compétent pour connaître de la contestation de ce montant, le Conseil constitutionnel a considéré que les dispositions contestées devant lui
étaient entachées d’incompétence négative et que cette incompétence négative affectait le
droit à un recours juridictionnel effectif.
Le Conseil constitutionnel a estimé qu’il convenait en conséquence de déclarer contraires à la Constitution les mots « des contestations qui s’élèvent à l’occasion de l’exécution forcée » figurant au premier alinéa de l’article L. 213-6 du COJ. Il a reporté les effets de l’abrogation de ces dispositions au 1er décembre 2024 en jugeant que « jusqu’à l’entrée en vigueur d’une nouvelle loi ou, au plus tard, au 1er décembre 2024, le débiteur est recevable à contester le
montant de la mise à prix pour l’adjudication des droits incorporels saisis devant le juge de l’exécution dans les conditions prévues par le premier alinéa de l’article L. 213-6 du code de l’organisation judiciaire » (§ 17 et 18).
- Les conséquences procédurales de cette déclaration d’inconstitutionnalité
Le Gouvernement a souhaité rétablir, à l’article 28 du projet de loi de simplification de la vie économique, le segment de phrase censuré à l’article L. 213-6 du COJ, tout en prévoyant, au sein du CPCE, la faculté pour le débiteur, en cas d’insuffisance manifeste du montant de la mise à prix, de saisir le juge de l’exécution afin de voir fixer une mise à prix en rapport avec la valeur vénale des droits incorporels et les conditions du marché. Ce dispositif devait permettre de répondre aux insuffisances relevées par le Conseil constitutionnel. Toutefois, l’interruption des travaux parlementaires à la suite de la dissolution de l’Assemblée nationale n’a pas permis l’adoption de la loi avant le 1er décembre 2024.
Dans l’attente du vote de la loi, il convient de tirer les conséquences en termes d’organisation
judiciaire et de procédure civile, de la décision du Conseil constitutionnel.
Celle-ci implique que le JEX ne sera plus compétent à compter du 1er décembre 2024 pour statuer sur les contestations qui s’élèvent à l’occasion de l’exécution forcée d’un titre exécutoire. La portée de la décision du Conseil constitutionnel n’est pas limitée à la seule saisie de droits incorporels ; elle s’étend à toutes les contestations portées à l’encontre des mesures
d’exécution forcée de nature mobilière.
En revanche, la compétence du juge de l’exécution prévue au troisième alinéa de l’article L. 213-6 du COJ, pour trancher les contestations qui s’élèvent à l’occasion de la saisie immobilière, n’est pas affectée par l’abrogation, laquelle ne concerne que le premier alinéa de l’article L. 213-6.
Les contestations portées à l’encontre des mesures d’exécution mobilières relèveront donc à partir du 1er décembre 2024 de la compétence du tribunal judiciaire, en vertu de sa compétence de droit commun (COJ, art. L. 211-3), laquelle prévoit que le tribunal judiciaire
connaît de toutes les affaires civiles et commerciales pour lesquelles compétence n’est pas attribuée, en raison de la nature de la demande, à une autre juridiction.
Ces actions patrimoniales, jusqu’à la valeur de 10.000 euros, relèvent de droit de la compétence du tribunal judiciaire statuant à juge unique, par application du 12° de l’article R. 212-8 du COJ.
A – Sort des affaires en cours
Les lois de compétence étant d’application immédiate, elles s’appliquent à toutes les procédures en cours d’instance, sauf à ce qu’un jugement au fond ait déjà été rendu (Cass. Avis, 29 nov. 1993, n°12-00013, 09-30.014, publié au bulletin).
Les contestations élevées à l’occasion de l’exécution forcée d’un titre exécutoire en cours au 1er décembre 2024, qu’elles soient simplement audiencées ou en délibéré, relèveront de la compétence du tribunal judiciaire statuant en vertu de sa compétence de droit commun. En
cas de renvoi de l’affaire devant le tribunal judiciaire, les dispositions relatives à la procédure écrite ordinaire seront alors applicables (CPC, art. 775). Les parties seront également tenues de constituer avocat (CPC, art. 760).
- – Sort des affaires pour lesquelles aucune audience n’aura encore eu lieu au 1erdécembre 2024
L’article 82-1 du code de procédure civile (CPC) permettant le règlement simplifié des questions d’incompétence au sein du tribunal judiciaire est applicable. En application de ce texte, le juge de l’exécution d’office, ou à la demande d’une partie, pourra renvoyer l’affaire par simple mention au dossier au président du tribunal judiciaire, qui la renverra lui-même au
président de l’audience d’orientation (CPC, art. 776).
- – Sort des affaires ayant fait l’objet d’une audience au 1er décembre 2024
Ce sont ici les dispositions des articles 75 et suivants du CPC qui trouvent à s’appliquer.
L’article 76 du CPC dispose que : « Sauf application de l’article 82-1, l’incompétence peut être prononcée d’office en cas de violation d’une règle de compétence d’attribution lorsque cette règle est d’ordre public ou lorsque le défendeur ne comparaît pas. Elle ne peut l’être qu’en ces cas ».
1ère hypothèse – une exception d’incompétence est soulevée par une partie : le juge de
l’exécution est amené à examiner sa compétence au regard de l’abrogation partielle de l’article
- 213-6 du COJ au 1er décembre 2024. S’il s’estime incompétent, le juge de l’exécution devra désigner la juridiction qu’il estime compétente (CPC, art. 81 ), soit en principe le tribunal judiciaire.
2ème hypothèse – le défendeur comparaît mais aucune exception d’incompétence n’est soulevée : le juge de l’exécution ne devrait pas en principe pouvoir relever d’office son incompétence car la compétence de droit commun du tribunal judiciaire, prévue à l’article L.
211-3 du COJ, n’est pas d’ordre public.
3ème hypothèse – le défendeur ne comparaît pas : le juge de l’exécution aura la faculté de relever
d’office son incompétence (CPC, art. 76 préc. et 472).
B – Sort des affaires à venir
Les contestations qui s’élèvent à l’occasion de l’exécution forcée de nature mobilière d’un titre exécutoire introduites après le 1er décembre 2024 relèveront de la compétence du tribunal judiciaire, statuant en vertu de sa compétence de droit commun, jusqu’à la restauration de la compétence du juge de l’exécution prévue par le projet de loi de simplification de la vie
économique.
Comme indiqué, durant cette période transitoire, les affaires seront soumises à la procédure écrite ordinaire devant le tribunal judiciaire (cf. développements au A) statuant en application de l’article L. 211-3 du COJ. Cette procédure permet la désignation d’un juge de la mise en état lorsque l’affaire n’est pas en été d’être jugée (CPC, art. 779 al.5).
Pour simplifier le traitement de ce contentieux, le président du tribunal judiciaire pourra privilégier, sous réserve de l’organisation interne du tribunal, la désignation d’un magistrat du siège exerçant ou ayant déjà exercé déjà les fonctions de juge de l’exécution en application de l’article R. 213-10 du code de l’organisation judiciaire, pour connaitre de ces affaires.
Le président de l’audience d’orientation pourrait faire usage du circuit court ou du circuit moyen en application des articles 776 à 779 du CPC) afin de mettre les affaires en état d’être jugées de manière plus rapide.
Enfin, pour les affaires relevant de la formation collégiale (12° de l’article R. 212-8 COJ), le renvoi à la formation de jugement du tribunal judiciaire statuant à juge unique est toujours possible selon les modalités prévues aux articles 812 et suivants du CPC.
Vous voudrez bien veiller à la diffusion de la présente circulaire et à nous informer des
difficultés susceptibles de résulter de sa mise en œuvre :
- pour les questions d’ordre procédural, sous le timbre de la direction des affaires civiles et du sceau – sous-direction du droit civil – bureau du droit processuel et du droit social – courriel : dacs-c3@justice.gouv.fr ;
- pour les questions d’organisation judiciaire, sous le timbre de la direction des services judiciaires – sous-direction de l’organisation judiciaire et de l’innovation – bureau du droit de l’organisation judiciaire – courriel : dsj-sdoji@justice.gouv.fr.