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Quelles sont les conditions pour que la garantie d’éviction soit actionnée dans le cadre de la cession d’un fonds de commerce ?

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Quelles sont les conditions pour que la garantie d’éviction soit actionnée dans le cadre de la cession d’un fonds de commerce ?

L’article 1626 du code civil prohibe toute concurrence, même par des moyens légaux, de la part du vendeur du fonds de commerce.

Article 1626 du code civil: 

« Quoique lors de la vente il n’ait été fait aucune stipulation sur la garantie, le vendeur est obligé de droit à garantir l’acquéreur de l’éviction qu’il souffre dans la totalité ou partie de l’objet vendu, ou des charges prétendues sur cet objet, et non déclarées lors de la vente. »

L’obligation légale n’entraîne pas nécessairement l’interdiction pour le vendeur de se livrer à un commerce similaire, à condition toutefois qu’il ne cause pas de préjudice à l’acquéreur par un détournement de la clientèle cédée

Autrement dit, il revient à l’acquéreur du fonds, qui entend mettre en jeu la responsabilité de son cocontractant, de démontrer non pas que le vendeur s’est réinstallé dans un commerce similaire, mais que cette réinstallation lui cause directement préjudice, c’est-à-dire entraîne un détournement de clientèle[1].

[1] Dalloz action Droit et pratique des baux commerciaux, B. Obligations de garantie.

Bail commercial

Quelles sont précisément les activités interdites au titre de la garantie légale du fait personnel ?

La jurisprudence est assez subtile. Certes, elle décide que l’obligation légale prohibe toute concurrence, même par des moyens légaux, de la part du vendeur. Mais elle admet que l’obligation légale n’entraîne pas nécessairement l’interdiction pour le vendeur de se livrer à un commerce similaire, à condition toutefois qu’il ne cause pas de préjudice à l’acquéreur par un détournement de la clientèle cédée.

Concrètement, l’activité visée doit être similaire à celle du fonds cédé. Les juges doivent rechercher la nature de l’activité interdite au vendeur et préciser si le rétablissement de ce dernier entraîne un détournement de la clientèle. Leur appréciation est souveraine[1].

[1] Dalloz action Fonds de commerce, B. Garantie contre l’éviction.

Par exemple, en adressant à son ancienne clientèle, quelques mois après la cession, une lettre circulaire précisant ses nouvelles coordonnées et proposant ses services, le vendeur fait usage de moyens déloyaux, de sorte que le manquement à son obligation est démontré[2].

[2] Paris, 26 nov. 1990, JCP E 1991. Pan. 88.

La même solution a été retenue à l’encontre du vendeur qui s’était réinstallé à proximité du fonds vendu, compte tenu de la nature très spéciale tant du fonds que de la clientèle s’intéressant à ce type d’activité[3].

[3] Com. 24 mai 1976, 75-10.612.

Pour la cession de parts sociales les conditions pour actionner la garantie d’éviction sont plus strictes.

La garantie légale d'éviction n’interdit pas à quelqu’un de se « rétablir », en l’absence d’une clause de non-concurrence.

La nouvelle installation ne doit pas être accompagnée d’actes de nature à obtenir une récupération de la chose vendue.

 

En effet, ce trouble est légitime. La personnalité morale constitue un « écran », ce qui explique la différence de traitement existant entre la cession de parts sociales (que ce soit d’un bloc d’actions ou de la totalité des parts) et celle d’un fonds de commerce (où le rétablissement est moins facilement regardé comme légitime, puisqu’un détournement simplement partiel de clientèle permet au cessionnaire d’invoquer l’éviction).

Dans un arrêt de la Cour de cassation du 21 janvier 1997 [1] , il est précisé que :

« la garantie légale d’éviction du fait personnel du vendeur n’entraîne pour celui-ci, s’agissant de la cession des actions d’une société, l’interdiction de se rétablir, que si ce rétablissement est de nature à empêcher les acquéreurs de ces actions de poursuivre l’activité économique de la société et de réaliser l’objet social ».

[1] Civ. 1re, 21 janv. 1997, n° 94-15.207.

Il apparaît donc que les conditions pour actionner la garantie d’éviction en matière de cession de parts sociales sont plus strictes qu’en ce qui concerne une cession de fonds de commerce pour laquelle la garantie d’éviction est actionnable à partir du moment où des actes de détournement de clientèle sont démontrés.

 

 

 

Autres illustrations jurisprudentielles:

 

Sur la nécessité de rapporter la preuve du détournement de clientèle et du préjudice allégué :

 

« S’agissant du détournement de clientèle du fonds cédé, la cour rappelle qu’il n’est pas établi que le commerce exploité par la société SOFRED 19 rue Poirier de Narçay bénéficiait d’une renommée susceptible d’entraîner un déplacement de la clientèle ou de modifier la zone de chalandise du fonds cédé du fait de son installation dans les locaux du 87 rue Didot, à une distance de 984 mètres pour un piéton, ce qui excède la zone usuelle de chalandise d’un commerce de proximité ; qu’il n’est apporté aucune preuve d’agissements de la société SOFRED visant à détourner la clientèle de la société SOFRED vers son fonds de commerce sis rue Didot.

Enfin la cour considère que le moyen tiré du chiffre d’affaires n’est pas probant. En effet, si le chiffre d’affaires de la société SOFRED était de 504 027 euros HT du 1er juillet 2014 au 30 juin 2015, la société MACHRISLINE produit un bilan et un compte de résultat pour une période de 21 mois du 01/10/2014 au 30/06/2016 de sorte qu’il ne peut être établi de comparaison pertinente. A supposer que la société MACHRISLINE n’ait en réalité commencé à réaliser un chiffre d’affaires qu’à compter du 1er octobre 2015, date de son entrée dans les lieux, le chiffre d’affaires n’en constitue pas moins une extrapolation puisqu’en ce cas, le chiffre d’affaires n’a pu être calculé que sur la base d’une période effective d’activité de 9 mois (1er octobre 2015- 30 juin 2016). Le chiffre d’affaires dont elle se prévaut, de 435 545 euros, est donc reconstitué artificiellement sur une période de 11 mois, tenant compte selon ses écritures, d’un mois de fermeture annuel du commerce, de sorte qu’il ne peut pas être comparé de manière pertinente au chiffre d’affaires de la société SOFRED pour la période du 1er juillet 2014 au 30 juin 2015 correspondant à une activité réelle, même en tenant compte d’une éventuelle fermeture du fonds pendant la période estivale de l’année 2014.

Dans ces conditions, la société MACHRISLINE ne rapporte pas la preuve que la réinstallation de la société SOFRED rue Didot pour une activité de boulangerie-pâtisserie constituerait une violation de la garantie légale d’éviction […] » (CA Paris, 5, 3, 30-10-2019, n° 17/22200, Confirmation).

 

« le vendeur d’un fonds de commerce doit s’abstenir, au titre de la garantie légale d’éviction, de tout agissement ayant pour effet de lui permettre de reprendre la clientèle du fonds cédé, privant ainsi celui-ci de sa substance ; qu’il incombe à la société L’EST DIVINE de caractériser les circonstances particulières prouvant le détournement de clientèle ; qu’en l’espèce, il n’est pas démontré que Madame X aurait démarché son ancienne clientèle, et sa responsabilité ne saurait être retenue au seul motif qu’elle aurait accepté les demandes spontanées des clients habitant dans la zone prohibée ;

 

qu’il ressort, en revanche, de nombreuses attestations, que les clients, prévenus du départ de Madame X, ont d’abord continué à fréquenter l’établissement puis se sont lassés en raison de la diminution de la qualité des soins, de la nature de l’accueil, des horaires restreints d’ouverture et d’une augmentation des tarifs ;

 

qu’il n’est ainsi pas établi que Madame X, en reprenant son activité dans un autre lieu, ait commis des actes de nature à détourner la clientèle de son ancien institut, le chiffre d’affaires de prestations de la société L’EST DIVINE étant au demeurant resté stable aux alentours de 41.500 Euros pour l’exercice arrêté en novembre 2008 par rapport aux recettes de Madame X réalisées pendant l’exercice antérieur ; que le tribunal a donc rejeté à juste titre l’action de la société L’EST DIVINE engagée subsidiairement sur le fondement de la concurrence déloyale […] » (CA Orléans, 11-03-2010, n° 09/02313, Confirmation).

 

« Mais attendu qu’en l’absence de clause de non-concurrence, la garantie légale d’éviction du fait personnel du vendeur d’un fonds de commerce n’interdit à celui-ci que les actes qui auraient pour effet de permettre au cédant de reprendre la clientèle du fonds cédé, privant ainsi celui-ci de sa substance ;

 

qu’ayant retenu tout d’abord que l’EURL Établissements Lekien n’exerce pas directement l’activité litigieuse et que, cédant d’un fonds de commerce, elle ne répondrait, au titre de la garantie d’éviction, des troubles émanant du locataire-gérant que dans la mesure où elle les aurait favorisés, l’arrêt retient que l’acte de cession à la société Alfred Lekien ne contenait aucune clause de non-concurrence, que les deux fonds avaient dès l’origine des activités liées aux arts ménagers et que le seul fait, pour l’un des exploitants, d’introduire dans la gamme de ses ventes des produits identiques à ceux proposés par son concurrent ne caractérise pas une faute, d’autant que la confusion qui règne entre les deux fonds préexistait aux agissements reprochés, qu’elle joue dans les deux sens et qu’enfin, aucun élément ne permet d’établir un éventuel détournement de clientèle qui serait à l’origine de la perte de chiffre d’affaires alléguée par la société Alfred Lekien, le secteur des arts de la table ayant connu une récession ces dernières années et les commerces du centre-ville ayant dû affronter la concurrence des centres commerciaux de la périphérie ;

qu’en l’état de ces constatations et énonciations, la cour d’appel a pu considérer que les actes reprochés ne constituaient pas une tentative de reprise de la chose vendue et rejeter l’action engagée par la société Alfred Lekien sur le fondement de la garantie légale d’éviction ; que le moyen n’est pas fondé […] » (Cass. com., 16-01-2001, n° 98-20.923, inédit au bulletin, Rejet).

 

Sur la caractérisation d’actes de détournement de clientèle :

 

« L’arrêt constate que, bien qu’il respecte l’éloignement conventionnel, le magasin litigieux est situé à environ 300 mètres, par les voies de circulation usuelles, du fonds vendu, qu’il se trouve dans la même partie du centre-ville d’Aix-en-Provence et appartient à la même « zone d’achalandage », qu’il vend des articles des mêmes marques et de la même gamme de prix que la société Sacasac, qu’il présente un aménagement intérieur qui rappelle celui de l’ancien magasin et qu’il utilise comme enseigne le nom « Gilbert Arnaud », similaire de celui de « Maison Arnaud » de l’ancienne boutique ;

que les juges en déduisent qu’en ouvrant un magasin en « parfaite concurrence » avec le fonds cédé et en utilisant une enseigne semblable à celle qui le désignait auparavant, de façon à indiquer à la clientèle qu’elle poursuivait son activité dans un autre lieu, la société Maison Arnaud a commis des actes de nature à diminuer l’achalandage et à détourner la clientèle de son ancien magasin, en violation de la garantie légale d’éviction ;

qu’ils relèvent à cet égard que le chiffre d’affaires de la société Sacasac, qui s’élevait pour la première année d’exploitation (mai 1991 à avril 1992) à 2 230 134 francs, était passé pour la même période suivante (1992-1993), qui correspondait à l’ouverture du magasin litigieux, à 1 738 347 francs, puis pour l’exercice 1993-1994 à 1 384 312 francs et que, acquis pour 1 million de francs, le fonds n’a été revendu en 1996 que pour 450 000 francs ;

 qu’à partir de ces constatations et énonciations répondant suffisamment aux conclusions prétendument omises, la cour d’appel, qui a caractérisé à la charge de la société Maison Arnaud des agissements ayant eu pour effet de lui permettre de reprendre la clientèle du fonds cédé, a légalement justifié sa décision ; que le moyen n’est fondé en aucune de ses trois branches  […] » (Cass. com., 04-12-2001, n° 99-16.449, inédit au bulletin, Rejet).

En résumé :

Il est nécessaire de démontrer des actes de détournement de clientèle ainsi qu’un préjudice afin d’actionner la garantie légale d’éviction à la suite d’une cession de fonds de commerce.

Toutefois, les conditions applicables en matière de cession de parts sociales (existence d’actes de nature à constituer des reprises ou des tentatives de reprise du bien vendu, ou d’atteintes aux activités telles qu’elles empêchent leur acquéreur de poursuivre l’activité économique de la société et de réaliser l’objet social) ne semblent pas être requises au regard de la doctrine et de la jurisprudence en  matière de cession de fonds de commerce.

Des manœuvres frauduleuses ne doivent pas nécessairement être démontrées bien que les actes de détournement de clientèle sont souvent liés à de telles manœuvres.

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Sébastien SALLES

Avocat associé, j'interviens en contentieux - litigation - Mes valeurs : Travail et Humanité. Français - Anglais. Ecole de Avocat du Sud-est, HEC PARIS, Ancien Membre du conseil de l'Ordre de Marseille. Enseignant Kedge business School.

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