La réforme du statut des baux commerciaux
La loi n°2014-626 du 18 juin 2014 http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000029101502&categorieLien=id relative à l’artisanat, au commerce et aux très petites entreprises introduit des modifications conséquentes dans plusieurs domaines touchant à l’entreprise. Nous étudierons ici exclusivement les modifications apportées aux articles L. 145-1 et suivants du Code de commerce portant sur le statut des baux commerciaux. L’une des particularités de cette réforme est son entrée en vigueur à plusieurs vitesses, puisque certaines dispositions sont applicables « aux contrats conclus ou renouvelés à compter du premier jour du troisième mois suivant la promulgation », tandis que d’autres sont d’application immédiate et que l’article 14 s’appliquera « à toute cession d’un local intervenant à compter du sixième mois qui suit la promulgation ». Nous présenterons donc les nouveautés en signalant à chaque fois la date d’entrée en vigueur de la disposition concernée.
La durée du bail :
Résiliation triennale. – Avant la loi du 18 juin 2014, il était possible de déroger à la faculté de résiliation triennale, soit en permettant au preneur de résilier avant l’expiration de chaque période triennale, soit en lui interdisant toute résiliation avant l’expiration de la durée du contrat. Le nouvel article L. 145-4 du Code de commerce limite à quatre cas limitatifs la possibilité de déroger à la faculté de résiliation triennale : baux d’une durée supérieure à 9 ans, locaux construits en vue d’une seule utilisation, locaux à usage de bureaux et locaux de stockage. S’agissant de la date d’entrée en vigueur de cette disposition, rien n’est prévu à l’article 21 de la loi : il faut en déduire qu’elle n’est applicable qu’aux baux commerciaux conclus après le 20 juin 2014 (soit le lendemain de la publication de la loi au Journal Officiel), sauf si elle est jugée d’ordre public et donc d’application immédiate aux baux commerciaux en cours.
Forme du congé. – Alors que l’ancien article L. 145-9 imposait le recours à un acte extrajudiciaire, la loi introduit la possibilité de donner congé par lettre RAR. Cette disposition entre en vigueur au 20 juin 2014 et s’appliquera aux baux commerciaux conclus après cette date.
Baux dérogatoires. – La durée maximale des baux dérogatoires, qui était de deux ans, passe à trois ans. A l’expiration de cette durée, le statut des baux commerciaux sera automatiquement applicable. Cette disposition s’appliquera aux contrats conclus ou renouvelés à compter du 1er jour du 3e mois suivant la promulgation de la loi, soit à compter du 1er septembre 2014.
Conventions d’occupation précaire. – Le nouvel article L. 145-5-1 du Code de commerce définit la notion de précarité comme des « circonstances particulières indépendantes de la seule volonté des parties ». Cette disposition est applicable à compter du 20 juin 2014.
Le loyer :
Indice. – Toute référence à l’indice du coût de la construction est supprimée, aussi bien à l’article L. 145-34 qu’à l’article L. 145-38 du Code de commerce : seuls l’indice des loyers commerciaux et l’indice des loyers des activités tertiaires demeurent comme référence. Cette disposition est applicable aux contrats conclus ou renouvelés à compter du 1er septembre 2014.
« Plafonnement du déplafonnement ». – La loi introduit une nouveauté particulièrement favorable au preneur mais qui s’apparente à un « casse-tête chinois » en pratique. Un nouvel alinéa de l’article L. 145-34 dispose : « En cas de modification notable des éléments mentionnés aux 1° à 4° de l’article L. 145-33 ou s’il est fait exception aux règles de plafonnement par suite d’une clause du contrat relative à la durée du bail, la variation de loyer qui en découle ne peut conduire à des augmentations supérieures, pour une année, à 10 % du loyer acquitté au cours de l’année précédente ». En d’autres termes, le bailleur ne pourra réclamer chaque année au preneur, à titre de supplément de loyer, que 10 % du loyer acquitté au cours de l’année précédente. Il s’agit d’un lissage de l’augmentation du loyer. Cette disposition est applicable aux contrats conclus ou renouvelés à compter du 1er septembre 2014.
Transmission du bail, vente du local :
Garantie du cédant. – En cas de cession du droit au bail commercial, l’acte contient généralement une clause de solidarité entre le cédant et le cessionnaire permettant au bailleur de se retourner contre le cédant en cas d’impayés. Les nouveaux articles L. 145-16-1 et L. 145-16-2 du Code de commerce encadrent cette garantie. D’une part, sa durée maximale est à présent limitée à 3 ans. D’autre part, le bailleur est tenu d’informer le cédant de tout défaut de paiement dans un délai d’un mois à compter de la date d’échéance. Cette disposition est applicable à compter de l’entrée en vigueur de la loi.
Préemption. – L’article L. 145-2 du Code de commerce tel que modifié par la loi du 18 juin 2014 étend le droit de préemption des communes et en précise les effets. Ce droit s’applique aussi bien en cas de cession de fonds de commerce ou de fonds artisanal qu’en cas de cession du seul droit au bail. Il est prévu que le statut des baux commerciaux continue de s’appliquer même si le commerce n’est pas exploité par la commune. Cette disposition est applicable à la date d’entrée en vigueur de la loi.
Par ailleurs, sont modifiés les articles L. 214-1 et 214-2 du Code de l’urbanisme, auquel est ajouté un nouvel article L. 214-1-1. Le droit de préemption est étendu puisque ce droit peut être délégué à un établissement public, à une société d’économie mixte, au concessionnaire d’une opération d’aménagement ou au titulaire d’un contrat de revitalisation artisanale et commerciale. Les informations à fournir dans la déclaration sont élargies. Le délai pour rétrocéder le bail ou le fonds à une entreprise peut être porté à trois ans en cas de mise en location-gérance.
Droit de préférence.– Un nouvel article L. 145-46-1 instaure un droit de préférence au profit du preneur en cas de vente du local. Cette disposition est applicable à toute cession d’un local intervenant à compter du 6e mois qui suit la promulgation de la loi, soit à compter du 1er décembre 2014.
L’état des lieux et les charges locatives :
Etat des lieux d’entrée et de sortie. – La loi insère un nouvel article L. 145-40-1 dans le Code de commerce, imposant de dresser un état de lieux contradictoire qui doit être joint au contrat de location ou conservé par chacune des parties. Le bailleur qui n’a pas fait toute diligence pour la réalisation de l’état des lieux ne peut plus invoquer la présomption de l’article 1731 du Code civil. Cette disposition est applicable dès l’entrée en vigueur de la loi. A noter qu’elle s’applique à la restitution d’un local pour lequel un bail avait été conclu antérieurement à l’entrée en vigueur de la loi, si un état des lieux d’entrée avait été établi.
Inventaire des charges et des travaux. – Un nouvel article L. 145-40-2 du Code de commerce prévoit que tout contrat de location comporte un inventaire précis et limitatif des catégories de charges, impôts, taxes et redevances liés au bail, avec l’indication de leur répartition entre le bailleur et le locataire. Un état récapitulatif annuel doit être adressé au locataire par le bailleur dans un délai qui sera fixé par voie règlementaire. Le bailleur doit également informer le locataire, en cours de bail, des charges, impôts, taxes et redevances nouveaux.
Le même article impose au bailleur de communiquer au locataire, au moment de la conclusion du bail puis tous les trois ans, un état prévisionnel des travaux qu’il envisage de réaliser dans les trois années suivantes, assorti d’un budget prévisionnel et un état récapitulatif des travaux qu’il a réalisés dans les trois années précédentes, en précisant leur coût.
Ce nouvel article L. 145-40-2 est applicable aux contrats conclus ou renouvelés à compter du 1er septembre 2014.
Dispositions d’ordre public du statut :
La loi du 18 juin 2014 modifie l’article L. 145-15 du Code de commerce énumérant les dispositions du statut qui sont d’ordre public. Les dispositions contractuelles contraires aux dispositions d’ordre public du statut des baux commerciaux seront à présent « réputées non écrites », ce qui aura un impact en matière de prescription puisque le caractère non écrit d’une disposition peut être invoqué sans limitation de durée. Cette disposition est applicable dès l’entrée en vigueur de la loi.
Dispositions diverses :
Toutes les dispositions relatives à la condition de nationalité française, antérieurement requise pour bénéficier du statut des baux commerciaux, sont abrogées : les étrangers peuvent désormais bénéficier du statut.
La compétence de la Commission Départementale de Conciliation est étendue au loyer révisé alors qu’elle était limitée au loyer du bail renouvelé.
En cas de procédure collective, le tribunal peut, dans le cadre d’un plan de cession, autoriser le repreneur à adjoindre des activités connexes ou complémentaires à celles prévues dans le bail. Cette disposition s’applique aux procédures de liquidation judiciaire ouvertes après l’entrée en vigueur de la loi.
Enfin, l’article 19 de la loi crée le contrat de revitalisation artisanale et commerciale, qui peut être conclu par une collectivité en vue de redynamiser certaines zones.
Baux professionnels :
L’article 57 A de la loi n°86-1290 du 23 décembre 1986 est complété par un article 57 B prévoyant l’obligation d’établir un état des lieux d’entrée et un état des lieux de sortie. Curieusement, le législateur n’a pas prévu ici que le bailleur soit déchu de sa possibilité d’invoquer la présomption de l’article 1731 du Code civil. On peut se demander si les tribunaux appliqueront la même sanction par analogie avec le statut des baux commerciaux.
Cette disposition est applicable aux contrats conclus postérieurement à l’entrée en vigueur de la loi. Toutefois, l’obligation d’établir un état des lieux de sortie s’imposera lorsque le contrat a été conclu avant l’entrée en vigueur et qu’un état des lieux d’entrée a été réalisé.
En conclusion, la loi du 18 juin 2014 apparaît comme un texte particulièrement favorable aux locataires. Elle ne manquera pas de susciter d’importants contentieux et d’intenses réflexions pour les rédacteurs d’actes autour de la nouveauté du « plafonnement du déplafonnement ». La réforme va sans aucun doute générer des risques accrus de responsabilité civile professionnelle pour les avocats et les notaires, ce d’autant qu’elle va s’appliquer aux baux renouvelés après son entrée en vigueur. Il convient par conséquent d’appeler tous les praticiens à la plus grande vigilance sur la rédaction des nouveaux baux et des baux renouvelés ainsi que sur la gestion des contentieux en matière de bail commercial.